Conseils pour concevoir son modèle économique


par Anselm Ibing, compagnon oasis, et Mathieu Labonne, directeur de Colibris


Dans les Oasis, où il s’agit de renouer avec toute la richesse des multiples dimensions de la vie, l’aspect monétaire reste une réalité incontournable. L'un des actes fondateurs d'une oasis est la réalisation d'un investissement financier très conséquent, qu'il s'agisse de l'achat d'un bien, de travaux de construction ou de travaux de rénovation. Si des oasis arrivent à fonctionner avec un investissement limité (surtout dans le cadre d'oasis-ressource), la majorité des porteurs de projet sont amenés à faire de grands apports financiers ou à emprunter (que ce soit auprès de particuliers, d'une banque, sur une plateforme de prêt participatif...)
Dans tous les cas, que ce soit pour rémunérer des investisseurs (qui auront eu intérêt à placer de l'argent dans le projet plutôt que dans des banques où les taux sont maintenant extrêmement bas) ou pour rembourser des prêts, l'oasis doit générer des recettes.
Les oasis de vie et les oasis-ressource offrent alors des modèles extrêmement différents.

Les oasis de vie


Elles se rapprochent d'opérations immobilières et les recettes sont générées par des loyers s'il s'agit d'une propriété collective (type SCI) ou par l'absence d'une charge locative qui permet le remboursement de son prêt (type lotissement / ASL / copropriété). C'est un modèle qui est stable car habiter reste un besoin vital et que le "marché" est donc énorme. Remplacer quelqu'un qui quitte un lieu n'est bien souvent pas difficile. L'enjeu est surtout d'avoir su correctement anticiper les charges de fonctionnement pour calculer des recettes qui assurent un remboursement dans une durée maîtrisée.
Si les habitants ont investi beaucoup au début (s'ils sont à l'origine des financements), ils auront d'autant plus de mal à mettre beaucoup d'argent chaque mois, par exemple pour remplacer la machine à laver collective qu vient de tomber en panne, pour refaire les chambres d'amis collective... Il peut donc être utile de penser chaque service collectif comme capable de se financer. Si je donne 1 euro à chaque machine collective, le groupe a une cagnotte pour remplacer la machine à laver quand elle tombe en panne. Si notre projet met en location à la journée les chambres d'amis collectives, sous forme de chambres d'hôtes par exemple, il peut ainsi générer les revenus nécessaires à leur entretien, sans que cela coûte pour faire loger nos amis...).
Il est toujours plus facile de donner une somme d'un seul coup que


Les oasis-ressource


Quant à elles, les oasis ressource se rapprochent davantage d'entreprises, qui doivent créer des ressources différentes des "loyers". Il s'agit alors de définir un modèle économique comme le ferait une entreprise et de réfléchir quel est réellement son "marché". Ce n'est pas forcément un "gros mot" et savoir se poser cette question vous incitera à être réellement innovant et à rester dans votre raison d'être/
Un outil qui peut être utile est de regarder les " 4P " (qui servent notamment à définir la démarche lucrative ou non d'un projet dans le monde associatif) :
- le produit : sur quel besoin humain je travaille ?
- le public : est-il local, régional, national ? quels moyens financiers a t'il ? quelles catégories sociales je compte toucher ?
- le prix : comment puis-je équilibrer les recettes et les charges ?
- la publicité : comment vais-je faire connaître mon projet, communiquer sur mon "produit" ?
Toute la réussite du projet dépendra de l'alchimie entre ces "4P" car c'est l'adéquation entre les différentes réponses que vous apporterez qui permettra d'assurer la viabilité économique du projet.

L'exemple courant de l'accueil et des stages


Prenons l'exemple courant d'oasis qui veulent proposer des stages de formation.
Beaucoup définissent une offre globale d'hébergement, de repas et de formation en tant que tel et pour y répondre iront vers la facilité de l'embauche et d'achats des biens nécessaires. On tombe alors sur des prix élevés (plus de 50 euros par jour par personne pour l'hébergement et les repas, ce qui est plus que doublé avec le prix de formation). Ces prix limitent alors l'intérêt d'un bassin de population très locale (tout le monde n'est du plus pas intéressé par des stages, alors que tout le monde se loge et mange) et demandent alors de viser des personnes très intéressées, à l'échelle au moins nationale (d'où un coût de transport en plus). Soit on est capable d'avoir une communication puissante et efficace (et cela est souvent lié à l'expérience du projet), soit le projet aura du mal à trouver son public...
Cet exemple illustre la difficulté de nombreux lieux de stage qui combinent mal les réponses aux questions que posent les 4P. Ils proposent par exemple des stages de développement personnel sur 2 jours (avec la difficulté de venir pour si peu de tems pour ceux qui habitent loin) à des prix de 300 euros le week-end tout compris (hébergement, repas et formation). Ce prix n'est pourtant pas injuste au vu des charges et du travail fourni, mais ce modèle est-il viable sur la durée, d'autant plus quand on a un prêt à rembourser sur 15, 20 ou 30 ans ?
A l'inverse, si mon projet souhaite toucher une population régionale, car il n'est pas en mesure d'avoir une communication nationale et d'être visible auprès de centaines de milliers de personnes bien définies. Je peux alors choisir un "produit" qui touchera largement localement (par exemple une production agricole, les AMAP ont rarement des problèmes pour trouver des acheteurs...) ou il faut que je me donne un prix adapté. Le schéma associatif permet beaucoup de créativité, notamment lié aux possibilités du bénévolat, du don en nature, du mécénat... Si mon lieu tourne grâce à des bénévoles, je peux sans doute avoir des prix beaucoup plus bas et m'ouvrir ainsi à un public plus régional qui va revenir régulièrement (certains lieux arrivent à proposer des hébergement et pension complète autour de 20 euros tout compris par jour).
Il est donc nécessaire de se poser certaines questions en toute sincérité, de "sonder le marché", pour faire se rencontrer son rêve, la "raison d'être" du projet, et la réalité économique.

En conclusion, voici quelques petits conseils


* Il est souvent plus facile d'assurer le financement d'un investissement immobilier grâce à une oasis de vie (=loyers) plutôt qu'à une oasis ressource (=ventes ou dons). N'hésitez pas à coupler les deux, voire à commencer par la dimension "oasis de vie"
* Soyez innovants dans les moyens de rendre vos "produits" abordables pour le grand public, en particulier s'il s'agit de produits immatériels, comme des formations.

* Visez avant tout un public "local" pour éviter une concurrence trop grande, notamment en termes de visibilité médiatique. Créez aussi du lien avec ce public pour le "fidéliser". Si vous avez des visiteurs réguliers qui viennent dans votre oasis, ce serait plus facile de pérenniser votre projet économiquement que si vous devez à chaque fois trouver de nouveaux participants / usagers.

* Visez aussi des personnes au revenu limité. On ne peut pas compter dans l'avenir que la part de notre budget pour des "loisirs" puisse rester aussi grande, il va falloir de plus en plus nous recentrer sur des besoins essentiels (en premier lieu l'habitat et la nourriture).