Valable en temps de paix _texte_

Auteur Marie Richeux
Description Finalement ce n?est pas tant à prendre la parole qui doit nous occuper quand on la prend, que ce que l?on décide d?y déposer et comment. Si par exemple l?on continue de figurer la parole, ou la langue, ou l?histoire, ou la langue soutenue par l?histoire des hommes qui serait la parole, bref, tout ça, si l?on continue de le figurer par une rivière - qui est l?image la plus satisfaisante pour l?instant - alors il faut être occuper à savoir ce que l?on y dépose. La rivière va sans nous. Depuis avant nous et jusqu?à après nous. Ce n?est pas complètement possible de dire cela avec la langue, mais c?est presque vrai pourtant : la rivière n?a pas besoin, précisément, de nos petites personnes, avec nos petites inventions pour exister. Elle charrie. Ce qui devient important, c?est l?écologie, l?économie de ce que l?on dépose dans la rivière. Parce que c?est incontrôlable après. Donc il s?agit de déposer en connaissance de cause, en conscience de cet incontrôlable qui nous traverse, et sans polluer. Car la rivière alimente toute la rive, qu?elle va ensuite dans la mer, que, donc, elle engage une responsabilité commune. Ce que je dépose dans la langue quand je prends la parole, qu?il s?agisse de dire quelque chose à quelqu?un en particulier, ou à plusieurs personnes en même temps, ou dire quelque chose sans préciser à qui, ne m?appartient pas, ni les ricochets ni les échos que cela produit. Ce qui continue de m?appartenir ad vitam eternam, c?est l?endroit, et l?état d?esprit, de corps, l?état d?histoire dans lequel je me trouvais quand je l?ai fait. Cela continue de m?appartenir toujours. Cela se soigne donc. Cela se pense. Et penser n?enlève jamais, malgré la manie que l?on a de dire l?inverse, l?immense spontanéité, l?infinie liberté d?agir et de choisir. Ce la les accroit. Ce n?est peut-être pas ce qui est dit, même si c?est très important, qui compte, mais la manière dont on le dit. La manière dont on le dépose. Essayer avec un bateau fait en brindilles. Ou avec un faux oiseau en bois. Ou avec une feuille. Juste une feuille verte. Si tu déposes mal, ça chavire et ça coule.
Pourquoi voulez-vous partager ce contenu ? C'est le texte que je vous ai lu. Un texte de Marie Richeux qui animait une émission littéraire du même nom que son blog tous les jours à 16h sur France Culture jusqu'en 2015. Et je suis fan. :) _Elle continue d'alimenter son blog_
Merci de saisir ici votre prénom et votre nom pour que l'on sache qui a apporté cette pépite Violaine